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11 mai 2012 5 11 /05 /mai /2012 20:02

L’armée romaine vue par Goscinny et Uderzo.

Un mot d’abord sur les autres BD que je vous présenterai trop rapidement (90 diapos en une heure !) le 14 mai.

Je n’insisterai pas sur les œuvres de Silvio Luccisano, qu’il vous a présentées lui-même. Il s’agit de raconter le livre VII de La guerre des Gaules dans l’interprétation officielle qui situe l’oppidum à Alise en Bourgogne, à travers une histoire sentimentale, en représentant aussi scientifiquement que possible les équipements, les travaux de siège, mais aussi l’habitat gaulois. L’ouvrage Alésia a été élaboré en liaison avec le MuséoParc d’Alise, qui a ouvert ses portes au public le 26 mars.
Alcibiade Didascaux, comme son nom l’indique (διδάσκω signifiant « enseigner » en grec ancien), se veut un voyage à travers le temps où le narrateur dépeint diverses époques ; les scènes de bataille et de siège sont passablement confuses, mais dans l’ensemble conformes aux reconstitutions d’Alise Sainte Reine.
Alix de Jacques Martin préfère focaliser sur les héros que sur les masses. On voit quelques déplacements d’armées en arrière-plan.
Murena se spécialise dans les scènes érotiques et violentes. On ne voit l’armée qu’excep-tionnellement (lors de la salutation impériale de Néron par exemple), et il s’agit alors des prétoriens, la garde personnelle de l’empereur qui était stationnée à Rome.
Enfin Les aigles romaines de Marini ne font pas, malgré le titre, tellement figurer l’armée : ici encore on préfère les scènes sentimentales, érotiques, ou violentes.

La BD humoristique pratique le contre-emploi et la connivence comme procédés littéraires.
Le contre-emploi : exemple typique et récurrent, la légion défaite par des Gaulois sans méthode de combat.
La connivence : rappeler au lecteur contemporain des réalités qu’il connaît bien et faire une satire de l’époque actuelle.
Le comique :  le principe des grosses baffes cher à Laurel & Hardy, à Charlot… c’est pour cela que la BD passait très bien en dessin animé, du moins quand c’étaient les studios Idéfix qui les réalisaient. Mais aussi des calembours souvent épouvantables…

Pour préciser le contre-emploi, le comique repose sur une inversion de la réalité historique : la légion manipulaire, telle que nous vous l’avons présentée le 30 avril et le 7 mai, est à peu près invincible… sauf face à une arme organisée de façon identique, comme on l’a vu dans les guerres civiles à partir de 49. Vercingétorix a failli de peu y parvenir, après avoir peut-être fait un séjour comme otage noble dans les lignes romaines. L’histoire d’Hermann ou Arminius, jeune noble trévire qui a été otage à Rome, et qui prend le commandement de ses compatriotes pour massacrer les légions de Varus en – 14, est historiquement assuré (on repasse tous les ans sur Arte les documentaires tirés de son exploit de Teutoburg).
Le fond historique est toutefois solide : Tite-Live raconte au livre XXXVIII, à propos des Celtes Galates de Turquie, comment ils s’épuisent dans un premier assaut désordonné et se découragent ensuite, quand par exemple un pilum romain transperce plusieurs boucliers et les oblige à combattre sans protection. Tite-Live précise que les Gaulois se déshabillaient pour le combat, ce qui était certes noble mais pas très efficace.
La connivence : on sait comment, en 1961, le scénariste et le dessinateur se sont entretenus d’une nouvelle BD pour la revue Pilote, qui caricaturerait la France contemporaine à travers une époque historique ; comme la préhistoire, la chevalerie, le Roman de Renart, le Far-West étaient déjà pris (en particulier par Goscinny et Uderzo à travers Oumpah-Pah le peau-rouge), les deux auteurs sont convenus de choisir l’époque gauloise.
L’année 50 av. J.-C. a été choisie comme la première de la Gaule romanisée, ce qui est faux : la romanisation avait commencé cent ans plus tôt et les contacts avec l’Italie remontaient aux années 600 av. J.-C. Quand le chef Abraracourcix dit que César lui a proposé d’être « sénateur à Rome, mais j’ai refusé, bien sûr », c’est une approximation : César a bien nommé une pincée de sénateurs gaulois (ainsi que de sous-officiers de ses légions), mais c’est Claude qui a institué ce recrutement par son discours de Lyon en 34 ap. J.-C. Les garnisons permanentes, composées d’ailleurs surtout de Germains, sont une réalité bien postérieure. Les frontières gardées par des légionnaires-douaniers sont une absurdité : les lignes-frontières (limites, sing. limes) de Germanie et d’Angleterre (mur d’Hadrien) sont bien postérieures. Le matériau historique est donc mélangé et utilisé au profit de la narration et du comique.
De même, si l’on regarde bien Le tour de Gaule, on ne risquait pas de produire du vin pétillant à Reims (Durocortorum) ni des bêtises à Cambrai (Camaracum) puisque le sucre était inconnu, et que les plus anciennes vignes de Gaule Chevelue, celles d’Auxerre et du Bordelais, doivent dater de ± 0 (mais on a récemment fouillé une vigne fossile à Vosne-Romanée, en Bourgogne). Il est vrai en revanche que les Romains riches appréciaient les charcuteries de porc noir et autres salaisons. Il n’y a jamais eu de percepteurs d’impôts militaires, mais des chevaliers publicains soumissionnaient les marchés et se débrouillaient pour pressurer les peuples conquis, avec l’aide de l’armée (voir le roman d’Anne de Léseleuc, Marcus Aper en Illyrie).
Mais il s’agit de moquer la France des années 60 à travers la romanisation imaginaire, non de tenir un discours pédagogique. Ainsi étale-t-on des lieux communs que vos parents (et vos professeurs) ont subis : les congés payés (A. en Hispanie) ou des particularités mythiques de certains peuples (les Belges font de mauvaises plaisanteries et consomment beaucoup de cervoise, les Anglais cessent tout travail à 17 heures… à peu près la neuvième heure pour les Romains, les Corses ont la religion de la sieste, etc.).
Pour cibler le propos sur l’armée, il faut en fait procéder à une dichotomie, parce que la satire porte sur deux armées contemporaines : l’armée de conscription française et l’armée d’occupation allemande des années 39-45.
Les patrouilles à pied, omniprésentes, qui visitent les caves, les tavernes, forcent les maisons et trouvent des collabosdans la population, sont un triste souvenir de l’Occupation allemande, et d’ailleurs la manie qu’ont les légionnaires de tendre le bras droit en braillant « ave César » rappelle les comportements de l’armée nazie. En revanche, la paperasserie (devenue « marbrerie », Astérix légionnaire), les ordres hurlés, les supérieurs tyranniques, le goût pour les jeux de dés, l’ennui et l’ivrognerie sont des caractéristiques de toutes les armées  de conscription, ainsi qu’une allusion au « père cent », qu’on fêtait quand il n’y avait plus que trois mois à tirer… différence notable, dans l’armée française avant Chirac, on savait qu’on ne ferait que douze mois (24 jusqu’en 1967), alors que l’engagement du légionnaire était de l’ordre de 14/16 ans.

Voyons maintenant les principaux thème album par album, dans l’ordre chronologique :
– Astérix le Gaulois : une aimable farce à base de potion magique, déguisements et quiproquos.
– La serpe d’or : marché noir et collaboration dans le Paris occupé, sous le prétexte de remplacer la serpe du Druide.
– Astérix et les Goths : le Druide est de nouveau enlevé, mais par des Goths. Les héros passent la frontière et provoquent des guerres incessantes entre  peuples germaniques.
– Astérix gladiateur : cette fois c’est le barde qui est enlevé par le chef de la garnison voisin, qui l’offre à César… lequel le condamne à être livré aux bêtes du cirque (anachroni-que : les combats entre hommes et animaux sauvages n’apparaissent qu’avec Claude et Néron). Les héros s’engagent comme gladiateurs dans un ludus tenu par un laniste, Caius Obtus, inspiré du cinéma de la Résistance.
– Le tour de Gaule d’Astérix : pour défier le commandant de la garnison qui a fait entourer le village d’une circonvallation, les héros parient de rapporter des spécialités culinaires de toute la Gaule. Les patrouilles sont de plus en plus nombreuses à tenter de les intercepter, avec la complicité d’un collabo, mais la Résistance,à Lyon, Agen, Toulouse, est la plus forte.
– Astérix et Cléopatre  : Cléopatre a fait le pari avec César que malgré l’incompétence de son architecte Numérobis, elle lui érigerait un palais magnifique ; ce que réalisent Panoramix, Astérix et Obélix malgré la malveillance de l’architecte rival, Amonbôfis, et la déloyauté de César. Idéfix joue le rôle essentiel en trouvant la sortie du labyrinthe de la Grande Pyramide, Obélix casse le nez du sphinx de Gizeh, etc. Parodie affichée des « peplums » américains de Cecil B de Mille et Mankiewicz (Goscinny avait commencé sa carrière aux USA).
– Le combat des chefs : un chef collabo défie Abraracourcix. Anachronismes volontaires : combat de boxe, la Foire du Trône, etc.
– Astérix chez les Bretons : Les troupes romaines occupent Londres, les indépendantistes bretons appellent leurs frères gaulois au secours. Les Romains confisquent tous les tonneaux des tavernes locales pour repérer la potion magique, en ressortent horriblement ivres, Obélix est enfermé à la Tour de Londres, les légionnaires et les Gaulois interviennent dans un match ce rugby surréaliste, et finalement la potion magique se dilue dans la Tamise… où les poissons font tomber les pêcheurs. Comme l’Angleterre n’a jamais été occupée ni par César ni par les nazis, il s’agit surtout de caricaturer les mœurs locales, la tasse d’eau bouillie (c’est Panoramix qui apporte le thé), le five o’clock, les pubs, la cuisine peu réputée…
– Astérix et les Normands : Normands et Vikings sont des termes approximativement égaux ; il s’agit de conquérants païens dont l’expansion vers le sud, par mer, s’étend du VIIIe au XIIe siècle. Les Romains n’interviennent que par raccroc, puisque les héros retrouvent dans les solitudes glacées un esclave gaulois qui leur permet de rentrer en Armorique.
– Astériχ légionnaire : l’un des albums les plus fidèles à l’histoire authentique. Le fiancé de la belle Falbala est prisonnier en Afrique, et les héros s’engagent dans la légion pour aller le récupérer an Afrique où César combat contre Scipion, Caton et les républicains. Allusions très précises au contexte des guerres civiles (qui fut pour les Romains un traumatisme équivalent à celui de l’occupation pour nous), mais surtout au ridicule des manies militaires : visite médicale, fourniment, marches, mauvaise cuisine, etc.  Le recrutement international est caricaturé (on pense plutôt à notre Légion étrangère), et même si de fait les légions étaient complétées avec des indigènes, un Égyptien, un Anglais, un Belge de caricature sont invraisemblables. Goscinny, juif hongrois élevé en Argentine, et Uderzo, lombard, ont fait leur service militaire en France… ils se vengent ici de la stupidité de l’institution.
– Le bouclier arverne : le chef a besoin de maigrir, les druides l’envoie en Auvergne ; caricature des villes thermales, où Goscinny a dû passer en raison de son tour de taille… On retrouve un collabo enrichi dans le commerce des roues de char à Augustonemetum (Clermont-Ferrand, qui ne s’appelait évidemment pas ainsi ; on reconnaît la dynastie Michelin), un percepteur d’impôts détesté, les bougnats qui tiennent tous commerce de vin et charbon, des légionnaires qui fouillent dans les caves et en ressortent noirs aux deux sens du terme… finalement il s’avère que le bouclier de Vercingétorix avait fini entre les mains d’un mince guerrier gaulois, revenu en Auvergne pour retrouver sa taille de jeune homme… et qui triomphe sur son bouclier habituel, porté par Obélix, sous les yeux de César. Lequel, bien entendu, interdira qu’on rapporte l’épisode inglorieux. À mon avis l’un des deux ou trois meilleurs albums.
– Astérix aux Jeux olympiques : un légionnaire bodybuildé doit remporter les JO et son centurion le prépare à cela dans un luxe peu militaire, mais un Gaulois roux le bat à la course, au jet d’arbres, et le centurion supplie les Gaulois de le laisser en paix alors qu’il se trouve juste bon à balayer. Mais les Gaulois s’aperçoivent qu’étant citoyens romains ils peuvent concourir aux JO ! Voyage en Grèce, caricature du tourisme, quiproquos autour d’une vraie-fausse potion magique, jeux de mot autour du colosse de Rhodes, rien ne manque en matière de détournement. Les jeux olympiques ont disparu avant l’époque d’Alexandre et n’ont été recréés qu’en 1894, par un obscur baron qui aimait beaucoup le corps des jeunes hommes musclés et avait des idées très marquées par l’eugénisme.
– Astérix et le chaudron : un chef voisin confie au village, en l’occurrence à Astérix, la recette des impôts qu’il veut dissimuler au fisc romain ; mais il enlève traîtreusement le chaudron, et Astérix est banni. Des tentatives burlesques de gagner de l’argent se terminent festival d’Aix ou d’Orange, dans le milieu du théâtre d’avant-garde. Dans un autre épisode, Obélix et Astérix tentent un hold-up dans un temple, pardon, une banque…
– Astérix en Hispanie :  un centurion est chargé de mettre à l’abri un otage espagnol, un fils de noble, gamin insupportable, et ne trouve rien de mieux que de le déposer au village gaulois. Il s’agit de le ramener à son père : caricature de l’autoroute et de ses restaurants (les Jacques Borel à l’époque), du passage de la frontière, des caravaniers chauvins, des fêtes religieuses omniprésentes, et de la corrida. L’armée romaine n’est ici qu’un arrière-plan commode.
– La zizanie : le village gaulois résiste encore et toujours. Un sénateur suggère à César d’y envoyer Olibrius, un vilain bonhomme (inspiré de l’acteur Jean Mauvais) qui a le donc de semer la discorde ; les pirates sabordent d’eux-mêmes leur bateau, Olibrius offre à Astérix, « l’homme le plus important du village », un vase précieux (une amphore attique à figures rouges, anachronique de quatre siècles), ce qui suscite la colère des matrones gauloises : la femme du chef doit faire la queue chez le poissonnier, et les mégères se battent à coups de poissons pourris. Le chef du camp voisin (caricature de Lino Ventura) a des soupçons, mais il finit par marcher sur le village… qui se réconcilie aussitôt. Influence marquée des films populaires des années 60.
– Astérix chez les Helvètes : il faut absolument un edelweiss pour refaire de la potion magique. Le préteur de Rennes, Garovirus, organise des orgies dans son palais, avec comme traiteur Fellinus de Rome. À Genève, où les Helvètes sont très à cheval sur la propreté et l’heure juste, les Gaulois et les Romains ont les pieds boueux… après avoir échappé à diverses patrouilles, Obélix, qui a trop bu, finit par remorquer sur une haute montagne un légionnaire. Au passage, on a dérangé une séance de la Société des Nations, traversé plusieurs fois le lac Léman, rencontré des fêtards romains qui dégustent la fondue mais envoient dans le lac ceux qui font tomber leur petit bout de pain, etc. On rencontre aussi un centurion qui a placé son butin dans un coffre-fort. L’influence de Fellini est évidente.
– Le domaine des dieux : ici c’est le boom immobilier des années 60 qui est visé. César veut englober le village dans une sorte de Melun-Sénart pour classes moyennes supérieures, une famille romaine moyenne gagne un appartement à un tirage au sort organisé au Cirque par un odieux présentateur (caricature de Guy Lux, célèbre à l’époque pour Intervilles). Finalement le barde s’installe dans l’immeuble et fait fuir tout le monde, avec l’aide d’Obélix qui joue à faire peur aux matrones ; pendant ce temps toutefois les Gaulois se sont tous mis à vendre des antiquités et du poisson, l’inflation s’est installée. À la fin, les légionnaires s’installent dans les immeubles, négocient des augmentations de solde et des congés (on est peu après mai 68), et le lotissement finit en ruines.
– Les lauriers de César : le beau-frère du chef, qui habite l’île de la Cité, est un parvenu odieux ; éméchés, Abraracourcix et Obélix parient qu’ils lui offriront un ragoût parfumé avec la couronne de lauriers de César. À Rome, Astérix et Obélix se vendent comme esclaves, mais au lieu du palais de César arrivent dans la domus d’un sénateur un peu déjanté, dont par chance le fils revient chaque matin d’une nuit de débauche dont seule la recette de poulet au savon et au piment d’Obélix peut le remettre. Jalousie de l’intendant, qui fait arrêter les deux Gaulois dans le palais de César, mais ce sera le jaloux qui finira par leur dénicher la couronne de lauriers.
– Le devin : un charlatan s’abrite de l’orage et se fait passer pour devin. Les femmes du village y croient et lui apportent dans une clairière une abondance de nourriture. Astérix chasse le devin, ce qui soulève la colère des dieux, et le devin se réfugie dans le camp romain voisin. Les militaires, d’un crétinisme outrancier, se disputent pour savoir s’il est vraiment devin, d’où nombreux quiproquos inspirés de Molière. Finalement Panoramix réalisera avec ses recettes la prédiction du devin, le village (dont les Romains se sont pour une fois emparés) étant envahi par la pollution.
– Ast2rix en Corse : pas de chance pour le chef de garnison qui ressemble à Pierre Tchernia, les Romains ont l’habitude d’abandonner les camps le jour de l’anniversaire du chef, où les Gaulois s’amusent à les massacrer : un envoyé spécial arrive avec un prisonnier corse qu’il lui confie. Le prisonnier rivalise de fierté avec Obélix, et l’équipe le reconduit dans sa patrie, en passant par Marseille (où le passeur, patron de bar, ressemble à Raimu dans César). Ils embarquent sur le bateau des pirates,qui finit par sauter à cause d’un fromage explosif ; conflit entre un engagé volontaire très bête et à cheval sur le règlement, et un centurion qui ressemble à Serge Gainsbourg : on se limite à un rapport. Pendant ce temps le préteur local (il n’y a jamais eu de préteur en Corse) s’apprête à quitter l’île avec ses trésors, mais les Corses sont trop paresseux pour charger son navire, et les soldats l’obligent à combattre en première ligne. Scénario extrêmement bien construit, scandé par quetre vieux sur un banc qui commentent tous les événements, avec tous les poncifs sur le goût de la sieste, la vendetta,le maquis, les cochons noirs, etc.
– Le cadeau de César  le jour de la retraite, César distribue des lots de terre ; un légionnaire  ivrogne reçoit en lot le village gaulois entouré de camps fortifiés romains, mais il le vend à un tavernier contre une amphore de vin, et ce tavernier, poussé par sa femme, tente de se faire élire chef du village. Les électeurs lui offrent des épées, des boucliers, des poissons et des menhirs qu’il enterre dans le jardin, en se demandant ce que penseront ceux qui feront des fouilles dans l’avenir (donc le village serait plutôt Carnac, malgré la carte qui figure au début de chaque album). Un débat « télévisé », arbitré par le barde, lui-même plus que partial (on pense au débat Giscard-Mitterand de 74 sur TF1) est interrompu par des boulets de catapulte.. Réconciliés in extremis, les Gaulois font une sortie et démolissent le camp romain.
– La grande traversée : partis sur une barque de pêche, Astérix et Obélix débarquant en Amérique. Obélix devient le dieu des Amérindiens locaux, est menacé d’épouser la fille du chef, et Astérix, pour attirer une galère  viking qui passe par là, monte sur un monticule de pierres avec une torche. Voilà comment ils ont découvert l’Amérique et élevé la statue de la Liberté… l’album n’a aucun intérêt historique mais vaut surtout pour l’incompréhension linguistique entre Gaulois et Danois : seuls les chiens, le minuscule Idéfix et le gigantesque danois, se comprennent et s’esclaffent en contemplant les hommes…
– Obélix et Compagnie : un jeune « néarque » (comprenons énarque » qui ressemble à Jacques Chirac enfant, imagine de corrompre les Gaulois en leur achetant des menhirs à des prix inflationnistes. Le chef de la garnison n’y comprend rien mais laisse les Gaulois, qui se sont tous mis à fabriquer des menhirs, les déposer dans le camp (à un endroit, deux légionnaires qui ressemblent à Laurel et Hardy, déjà évoqués par Astérix et Obélix dans le précédent album, sont chargés du déchargement des menhirs). L’énarque rentre à Rome sûr de lui, mais les fabricants italiens et égyptiens de menhirs barrent les routes, on brade deux menhirs pour le prix d’un, puis trois, etc., et finalement l’inflation galope et tous les Gaulois sont ruinés ; c’est alors qu’ils reprennent leurs habits normaux, se réconcilient et tapent sur les Romains.
– Astérix chez les Belges : à mon sens le chef d’œuvre, dont Goscinny avait écrit le scénario, mais qu’il n’aura pas vu achevé. César a dit (c’est vrai, au livre I) que les Belges sont les plus courageux des Gaulois, mais il ajoutait « parce qu’étant éloignés de Rome, ils ont moins de contacts avec nos commerçants ». Abraracourcix l’apprend par une légion qui revient de Belgique pour se reposer, avec un centurion hilare qui est, encore une fois, l’ami Tchernia. Vexé, il décide d’aller se mesurer aux Belges en concourant au nombre de camps romains détruits. Ex-aequo, bien sûr. Il faut en appeler au jugement de César : celui-ci rassemble ses légions, et c’est la bataille de Waterloo,, sur le texte de Victor Hugo. Au passage, on aura croisé Annie Cordy, célèbre chanteuse de variétés encore de ce monde, le Mannekenpis et… les Dupondt d’Hergé, déguisés en messagers.
L’analyse littéraire mérite des thèses entières, et il en existe d’ailleurs plusieurs. En 28 ans, on est passé d’une petite plaisanterie franchouillarde encore teintée de l’esprit revanchard des années 60 (les grands films de résistance, La Grande Vadrouille ou La vache et le prisonnier, avec Gabin, De Funès, etc., ont été tournés dans ces années-là et non immédiatement après la guerre) à des chefs-d’œuvre d’autodérision, où la BD se regarde et se caricature elle-même, avec d’innombrables allusions au cinéma contemporain (Goscinny et Tchernia ont réalisé plusieurs films plus ou moins réussis, comme Le Viager avec Michel Serrault et Michel Galabru), aux grandes BD même des éditeurs rivaux. Du mauvais calembour (le chef collabo du Combat, qui fait construire un aqueduc alors qu’une rivière traverse son village, veut « faire gallo-romain », traite un autre de « gallo-pin » et se fait lui-même traiter de « brute gallo-née »), on passe in fine à l’illustration d’un célèbre poème romantique.

Il est vraiment regrettable que les fêtes nous fassent perdre trois lundis par semestre, sans quoi je vous aurais détaillé tout cela… mais après tout, vous avez Wikipédia où l’on peut consulter d’assez larges extraits des albums, et bien entendu il est loisible de les lire et relire. On s’attachera surtout à ceux de Goscinny, parce qu’Uderzo n’est pas le meilleur scénariste qui soit.

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