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25 novembre 2010 4 25 /11 /novembre /2010 19:39

J'ai présenté lundi dernier quelques images concernant le premier Âge du Fer en Italie centrale. Aucun manuel accessible n'offre un tableau suffisant de cette période, et même mes diapos, repiquées sur des publications, n'offrent  pas un échantillon suffisant pour comprendre l'époque : il faut, si possible, visiter les musées municipaux (Musei civici) de Tarquinia, Cerveteri, Montalto di Castro, la Villa Giulia, le Museo Pigorini, etc. On ne va pas vous demander de passer vos vacances en Italie, d'autant que les musées sont fermés tous les jours fériés… et ils sont nombreux là-bas.

Les documents visuels ne sont disponibles qu'à partir de certains catalogues d'expositions, de thèses et de publications qu'on peut diffuser à titre privé sur des polycopiés (le © est indiqué et donne lieu à droits d'auteur), mais pas sur internet. Je peux diffuser mes propres photos, mais il y en a peu qui soient exploitables dans le cadre de cette séquence.

Le villanovien tire son nom d'une nécropole fouillée au XIXe siècle près de Bologne, mais on a découvert depuis que son implantation concerne surtout l'Italie centrale, l'Étrurie dans son ensemble, le Latium et une partie de la Campanie.

C''est ce que les Italiens appellent une cultura, les Allemands une Kultur, nous autres une civilisation, ce qui prête à confusion.

Je l'appellerais plutôt une facies : un aspect local des civilisations du Premier Âge du Fer en Italie, qui se développe sans rupture évidente avec le Bronze final, si ce n'est que les gens de cette époque se sont mis à pratiquer, autour de 1000 av. J.-C., la métallurgie du fer en plus de celle du bronze.

Rappel important : il existe des métaux assez faciles à travailler à froid par martelage, comme l'or (à partir d'un gramme d'or, ai-je appris sur le dernier Science et vie, on peut tirer un mètre carré de feuille et un kilomètre de fil); on en trouve dans des rivières sous forme de pépites ; il en va de même pour l'argent. Le cuivre natif, dans les mêmes conditions, peut se travailler à froid, mais il vaut mieux le chauffer à 1080°C pour le fondre, et si on peut l'allier à d'autres minerais, étain, plomb et zinc, on obtient des alliages qui se travaillent par moulage autour de 1200° (le cuivre pur, si l'on veut le mouler, demandant une température de 1316°, difficile à obtenir avec du bois, et exigeant normalement une fabrication prélable de chabon de bois). Tous les métaux qui se travaillent à chaud exigent évidemment qu'on maîtrise la construction des fours en terre crue. La récolte du bois et de l'argile exige une organisation sociale qui n'apparaît qu'au néolithique, dix millénaires avant l'ère courante au Moyen-Orient, un peu plus tard en Occident.

Les langues indo-européennes que nous parlons, selon les linguistes, seraient liées au néolithique. Mais comme cette idée n'est pas démontrée, je préfère ne parler que des témoins matériels.

L'Italie, comme l'Europe occidentale dans son ensemble, connaît un Âge du Bronze final marqué, avant 1000, par des incinérations en "champs d'urnes" ; le villanovien continue cette coutume d'incinérer les morts et de les enfouir dans des nécropoles serrées, où les restes des défunts sont enfermés dans une urne en terre cuite, celle-ci enfouie dans un puits souvent précédé d'un autre puits plus large : c'est le système pozzo-pozzetto, connu surtout en Étrurie méridionale. Les cendres sont enfermées dans un récipient d'argile, accompagnées d'offrandes funéraires dont nous ne connaissons plus que les contenants (des vases à offrandes en forme d'assiettes creuses, des cruches).

Le villanovien continue assez exactement les Champs d'Urnes, mais en Italie ceux qui en pratiquent le rite commencent à connaître le fer. Ce métal, qui exige une technologie élaborée, est apparu vers 1.500 en Orient, vers 1.000 en Occident. Il faut trouver le minerai, en identifiant des roches particulières, le fondre à haute température et travailler les lingots de fonte à la forge : on peut estimer que le fer était nettement plus précieux que le cuivre et l'or pendant les deux ou trois siècles où sa technologie n'était pas maîtrisée. En revanche le bronze (cuivre + étain ou plomb) était bien maîtrisé depuis deux millénaires, et des objets fabriqués en série, surtout des haches, servaient déjà d'étalons prémonétaires.

Autour de 1.000, au sud de l'Autriche, émerge une civilisation qui maîtrise à la fois le bronze, pour ses vases, et le fer, pour ses armes : on les appelle par convention les Celtes. Cette civilisation continue à incinérer ses morts, mais les accompagne de grands seaux de bronze décorés par martelage, les situles. Le villanovien se développe avec les deux industries du bronze et du fer, mais peut-être avec quelques décennies de retard, cela reste encore difficile à prouver.

Quoi qu'il en soit, le villanovien couvre les dixième, neuvième et huitième siècles dans une aire assez vaste qui s'étend de l'Émilie à la Campanie en passant par le Latium et l'Étrurie.

Les fouilles archéologiques modernes en ont fait connaître quelques habitats : il s'agit toujours de sites de hauteur, avec des cabanes de torchis, couvertes de chaume, qui ne marquent aucune différenciation sociale. Les nécropoles, qui s'étendent sur des collines et tendent à s'étendre sur les pentes, obéissent au type Champs d'Urnes. Dans un premier temps, on ne distingue pas de différentiations sociales : peut-être, sur une urne biconique en terre, un casque en argile va-t-il distinguer l'homme de la femme ; dans le matériel d'accompagnement, on pense qu'un modèle miniature de brasero (comprendre un four à pain qui sert de gril) désigne la maîtresse de maison. Peu à peu, on voit apparaître des armes, des rasoirs, des casques en bronze qui désignent l'homme en tant que guerrier, avec des statuettes de chevaux ; tandis qu'en face les symboles domestiques, vases miniatures et braseros, se multiplient. Mais rien n'est simple, les aspects matériels évoluent différemment suivant les endroits.

Dans le Latium, mais aussi en Étrurie méridionale, en Campanie, les cendres des morts sont souvent déposées dans une urne-cabane qui reproduit la maison des vivants, mais l'urne est déposée dans un énorme tonneau de terre cuite qui doit empêcher le fantôme de ressortir ; on dépose des statuettes d'offrants et des vases miniatures. En Étrurie mériodionale, à Tarquinia, Caere, Vulci, Veii, on préfère l'urne biconique déposée au fond du pozzetto et enfermée par une grosse dalle de pierre volcanique avec les offrandes funéraires autour. En Étrurie du nord, à Chiusi, on voit des trônes funéraires en pierre volcanique avec des représentations sommaires du déunt.

Le gros problème, quand on tente d'expliquer cela à des étudiants de premier cycle, c'est qu'il faut être meilleur que la plupart des manuels disponibles, et synthétiser des travaux scientifiques très pointus.

Premier point : le villanovien est une culture de transition Bronze/Fer d'Europe occidentale totalement banale et parallèle à ce qui se passe de l'autre côté des Alpes. Comme toujours en Occident, on réagit avec deux siècles de retard sur les innovations d'Orient, mais rappelons qu'au début du néolothique le retard était de cinq millénaires pour l'agriculture et l'élevage sédentaire, deux millénaires pour la civilisation urbaine et pour l'écriture ; pour la monnaie et les échanges, je vous ai montré des étalons prémonétaires sous la forme de haches en mauvais bronze, mais les haches polies en roches vertes et les "poignards" du Grand-Pressigny étaient déjà des pré-monnaies qui ont circulé pendant deux millénaires !

Deuxième point : le villanovien n'est pas un machin figé qui n'a pas bougé du Xe au VIIIe siècle, comme la plupart des manuels le présentent. Bien au contraire ! Le gros problème, c'est que les manuels de vulgarisation et les revues pseudo-scientiques montrent toujours l'urne biconique de Tarquinia surmontée du casque en bronze décoré de bossettes au repoussé. Les deux objets ont un siècle ou deux d'écart. Je m'explique juste après le troisième point.

Troisième point, donc : c'est le plus important. Certains archéologues ont voulu que le villanovien résulte d'une invasion de peuples venus du nord. Je n'en ai pas parlé en cours, parce que cela entraînerait des discussions inutiles, mais il est vrai qu'à partir des écrits d'un érudit grec qui a travaillé à la cour d'Auguste, Denys d'Halicarnase, certains érudits allemands ont tout mélangé et voulu que les Étrusques fussent des Nordiques et non, comme le croyaient (à tort aussi) des Pélasges ou des Lydiens. L'acculturation au fer est un phénomène scientifiquement contrôlable, et il est probable qu'elle a été un peu plus précoce au nord qu'au sud du col du Brenner. Que les très-savants qui commentent les textes antiques sans rien y comprendre regardent un peu la géographie : les minerais de fer sont largement plus faciles à récolter en Autriche qu'en Italie. Il n'y a de fer proprement étrusque qu'à partir du moment où Populonia exploite l'île d'Elbe, et il faut pour cela que les féodalités soient constituées… en attendant les cités qui leur succèdent.

Donc le VIIe et le VIe siècles. On verra, dans les quelques semaines qui viennent, que l'orientalisant ne signifie en rien l'arrivée d'un peuple exotique ou étranger.

À retenir donc :

– entre le Bronze final et le Villanovien, en Italie, pas de hiatus, mais une persistance des Champs d'Urnes.

– une constante cultu(r)elle : réduire le mort à zéro, s'assurer qu'il ne reviendra pas sur terre. D'où les sépultures à double puits, les urnes-cabanes enfermées dans un tonneau…

– localement, en trois siècles, distinction porogressive des défunts par le sexe, puis par la position sociale et militaire : début d'une sélection aristocratique qu'on voit aussi dans le développement de la nécropole des Quattro Fontanili.

 

À suivre : ce qu'on appelle l'orientalisant est la suite exacte de l'individuation aristocratique, puis féodale, et à son tour le système féodal explique l'aristocratie romaine… ses rois supposés et sa pseudo république.

Explication de textes lundi prochain et des images le lundi suivant (6 décembre). Présence souhaitée de tous, puisque les images sous © peuvent être diffusées en projection limitée mais pas sur internet.

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