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10 avril 2010 6 10 /04 /avril /2010 18:01

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Rubicon. Le pitch et quelques pistes.

Contexte : en janvier 49, César, qui n'a plus aucun titre de magistrature, descend avec une seule légion le long de la côte adriatique. Pompée commande une dizaine de légions, partie en Espagne, où il n'a jamais mis les pieds, partie dans le Latium où il les retient, sous prétexte que ce sont des tirones (nouvelles recrues) et qu'il faut les entraîner. Aucun des triumvirs ne peut entrer dans Rome : Crassus a été tué par les Parthes en 52, Pompée et César détiennent tous deux un imperium proconsulaire. César peut se présenter à un deuxième consulat pour 48 et demande au sénat l'autorisation de présenter sa candidature in absentia. Ce que le sénat, dominé par les Claudii et les Caecilii, refuse : César doit se rendre à Rome, donc dépouiller son imperium, et affronter les multiples procès capitaux dont la magistrature le protège.

Bien que César n'ait plus que 9 (ou 10) légions, Rome vit dans la panique de se voir envahie par ses troupes, qu'on dit (en partie à tort seulement) composées de féroces Gaulois et même de Germains.

Les historiens ne parlent pas des difficultés d'approvisionnement, ni d'ailleurs en général de la vie quotidienne, mais Saylor n'a pas eu de mal à imaginer la pénurie sur les marchés. De même, il représente avec beaucoup de vraisemblance le grouillement d'espions qui renseignaient les adversaires et, pourquoi pas, l'avocat Cicéron, homme politique toujours indécis, qui avait prudemment quitté Rome sans savoir auquel des deux se raccrocher.

Devant la panique, Pompée préfère transporter ses légions en Campanie avec les sénateurs de son parti ; il fait occuper Corfinium par Domitius Ahenobarbus, le proconsul qui devait remplacer César en Gaule, et se dirige lui-même vers Brindes dans l'intention de gagner Dyrrachium, sur la côté d'Épire, à un ou deux jours de navigation. Mais César joue plus ou moins la légalité : il envoie Curion et Marcus Antonius négocier avec le sénat, qui rend un avis négatif avant de quitter en majorité la Ville, et au lieu de marcher sur Rome comme l'avait fait Sulla, il longe la côte adriatique où les villes se rallient. Il lui faut pour cela traverser le petit fleuve côtier qui sépare la Gaule cisalpine de l'Italie proprement dite, à 350 km de Rome et 500 de Brindes. Les troupes de Corfinium, assiégée, se rallient à César, qui accorde sa clémence à Domitius, lequel file à Marseille pour occuper son poste en Gaule. Puis César assiège Brindes au moment même où Pompée,qui occupe la ville et le port, fait passer en Grèce d'abord les sénateurs, puis l'essentiel de ses troupes.

Tout cela se déroule en hiver, période où la navigation est incertaine.

Les personnages :

Le personnage central et narrateur des 9 romans de Steven Saylor est Gordianus, un citoyen romain atypique, chargé par Cicéron, puis par Pompée, d'enquêter sur les intrigues de l'époque 65-48. Il côtoie ainsi les principaux agonistes de l'époque : Crassus, Catilina, Clodius et sa sœur Clodia, Cicéron, Milon, Pompée, César, Cléopatre; Marc Antoine, et même ici Vitruve, l'architecte, dont on suppose qu'il fut à la tête des troupes du génie de César.

Au cours de ses aventures, il achète successivement quelques esclaves, d'abord Bethesda, judéo-égyptienne dont il fait son épouse, puis Éco et Méto qu'il affranchit et adopte comme ses fils, après quoi il a une fille, Gordiana dite Diana, qui se laisse séduire par un ancien garde du corps de Pompée, Davus, qui devient donc son gendre légitime, et encore deux gamins, Mopsus et Androclès, esclaves de Clodius, puis Rupa, géant muet, frère de Cassandre qu'il aimera brièvement dans l'épisode suivant (voir le pitch du Jugement de César, à venir).

Les lieux : dans cet épisode, nous passons de la Rome quasi déserte de janvier 49 à Brindes assiégée en traversant la péninsule au milieu de mille périls. Le Palatin joue un rôle central, avec son boulevard circulaire et le raidillon, propice aux embuscades, qui sert de raccourci pour gagner la maison de Cicéron et celle de Gordinaus depuis le forum. Les marchés spécialisés (au poisson, aux légumes, au bétail), les rues et quartiers (des tisserands, des foulons, des cordonniers…) servent dans toute la série de cadre à la vie quotidienne, avec leurs difficultés d'approvisionnement en période de crise.

Le récit :

1. Davus découvre le corps étranglé de Numerius Pompée dans le jardin de son maître.

2. Diana découvre dans une chaussure du cadavre un papier codé qui est une fiche de police sur Gordianus et sa famille.

3. Pompée, furieux, arrive chez Gordianus avec une escorte, et lui reprend Davus. Pacte : Gordianus devra lui livrer le nom de l'assassin de son cousin s'il veut récupérer Davus.

4. Gordianus réussit à voir Cicéron, enfermé chez lui. Tiron, selon ses dires, est resté en Cilicie.

5. G. voit la mère de Numerius.

6. G. repère Tiron déguisé.

7. Tiron se dévoile dans la maison de Cicéron, où l'on ne pénètre plus qu'avec une échelle.

8. Dans une taverne discrète, Tiron révèle un complot contre César et le secret des faux courriers de Cicéron.

9. Visite d'Aemilia, maîtresse de Numerius, enceinte.

10. Perquisition dans le nid d'amour de Numerius.

11. Tiron surprend G. à ce moment.

12. G. et Tiron rejoignent Cicéron à Formies.

13. Nuit de discussion entre eux et Ahenobarbus : tableau de la situation politique.

14. Voyageant vers Brindes, Tiron (sous le déguisement de Soscaridès, esclave de G.) et G. sont faits prisonniers par les Césariens.

15. Antoine les emmène à Brindes.

16. Siège de Brindes : les tactiques en présence. Vitruve.

17. G. retrouve Méto.

18. Entrevue avec César.

19. G. et Tiron arrivent au port.

20. G. rencontre Pompée.

21. G. retrouve Davus. Il exige d'embarquer avec Pompée pour lui dévoiler l'assassin de Numerius, et donne sa bourse à Davus.

22. Pompée, apprenant qui est le meurtrier de son cousin, tente de l'étrangler. G. saute du bateau en feu.

23. Convalescence de G.

24. G. découvre la trahison de Méto.

25. G. reçoit un message de Massalia (Méto qui dévoile le pseudo complot contre César).

Les points d'intérêt :

Comme je l'ai dit, on peut analyser ce roman et tous les autres selon trois axes au moins : la narratologie, la pragmatique et le reflet des réalités historiques, les trois se rejoignant évidemment.

1) La narratologie : le narrateur est aussi le principal acteur, et il échappe de peu à la mort à plusieurs reprises. C'est l'éternel problème des romans écrits à la première personne : on se doute bien que le narrateur a survécu à toutes ses épreuves, et tout l'art consiste à montrer de combien peu il a échappé. L'expérience de Conan Doyle montre combien il est risqué de tuer son héros : sous la pression des lecteurs, il a dû ressusciter Sherlock Holmes, disparu (opportunément) dans une chute en montagne en même temps que son éternel ennemi Moriarty. D'ailleurs quelques milliers d'Anglais sont encore convaincus que Sherlock Holmes est un personnage historique ! De nos jours, on laisserait le dénouement en suspens et on demanderait aux lecteurs de voter par internet pour savoir lequel ils veulent voir survivre. Procédère que je vous invite à découvrir dans mon Vézelay brûle, qui devrait paraître en juin.

2) La pragmatique : c'est, rappelons-le, dans cette perspective de la littérature populaire, surtout l'étude des moyens qui vont retenir le lecteur sur plusieurs volumes. Saylor crée une galerie de personnages qui évolue (Éco, par exemple, disparaît à peu près, Bethesda disparaîtra ensuite de manière définitive, Méto sera éloigné puis retrouvé, etc.). La detective story classique, façon Agatha Christie, même le polar façon Dashiel Hammett ou James Hadley Chase, peine à fidéliser le lecteur avec des personnages à la fois récurrents et renouvelés, et suffisamment variés. Ce que Saylor a puisé dans la littérature des années beatnik et hippie est l'intérêt de mettre en scène des marginaux : esclaves rachetés, pater familias atypique ; voir par exemple Richard Boyd. Les personnages authentiques, par opposition, doivent être à peu près fidèles à leur légende. Mais justement, Tiron en espion déguisé, qui est le vrai meneur de l'intrigue, espion à la solde de Pompée face à l'imaginaire Méto, au rôle ambigu, devient un personnage de roman qu'il n'a jamais dû être dans la réalité (ajoutons que Saylor efface l'ambiguïté de ses relations avec Cicéron pour les transférer sur celles de Méto avec César, dont l'ambivalence sexuelle est légendaire).

3) Les aspects réalistes historiques : les biographies ± romancées paraissent bien fades à côté de ces réalisations romanesques puissantes, et curieusement ce sont souvent les fictions pures qui reflètent le mieux la réalité historique. Les Américains, qui s'entourent de spécialistes et font tout vérifier par les agents littéraires, ont une érudition très sûre sur laquelle ils brodent sans invraisemblance. Sur l'état de Rome en janvier 49, le siège de Corfinium et l'embarquement de Brindes, on ne constatera aucune contradiction avec le livre I du BC. Mais combien de précisions vraisemblables (la disette à Rome, les difficultés des raccourcis à travers les montagnes apuliennes, les pièges creusés en travers des rues…) sont empruntées à Plutarque, à Vitruve, au pseudo-Hygin et à tant d'autres.

Les personnages historiques mis en œuvre (comme des ingrédients dans une recette de cuisine) sont valorisés par diverses épices : chacun sait par exemple combien Cicéron a hésité à rejoindre Pompée en 49, Shakespeare en avait déjà parlé ; on sait aussi que lui, Pompée, Crassus ou César avaient des fiches sur tout ce qui comptait à Rome et dans les provinces, mais il fallait imaginer que les notes tironiennes (qui étaient en fait une sorte de sténo) pussent servir de codage, Suétone ne précisant pas quel système de codage César utilisait.

Conclusion :

Il existe un vrai travail de recherche à effectuer sur cette littérature, en privilégiant le cas échéant l'un des points de vue évoqués ci-dessus. L'historien rigoureux s'ingéniera à trouver des invraisemblances, le fruit d'une imagination débridée, voire des contrevérités intolérables. Les points de vue littéraires évitent une recherche lourde dans les documents antiques, mais elle n'en est pas moins souhaitable car, si l'on a largement écrit sur San-Antonio ou sur Astérix, il manque encore des études universitaires sur les polars antiques, qui ont quand même déjà une trentaine d'années d'existence sous leur forme actuelle.

. Et non protagonistes : dans la tragédie grecque, il n'y a que trois acteurs, le protagoniste, le deutéragoniste et le tritagoniste. Parler de protagonistes au pluriel est une absurdité, surtout quand les journalistes télévisuels illettrés les qualifient de "principaux".

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