Version:1.0 StartHTML:0000000209 EndHTML:0000025324 StartFragment:0000002656 EndFragment:0000025288 SourceURL:file://localhost/Users/richard/Desktop/Franck%20Ferrand%20pr%C3%A9sente%E2%80%A6%20Alise.doc
Franck Ferrand présente… Alise, condamnation capitale.
Quel plaisir que de dévorer ce bouquin assez épais ! En le feuilletant la semaine dernière à Salins, je me suis dit « encore les arguments éculés ! », et quand mon libraire préféré me l’a fourni, voici cinq jours, changement d’avis.
On va passer sur le « Franck Ferrand présente… », insupportable de fatuité, digne d’un producteur de télévision (mais c’est vrai qu’il l’est, comme Nagui ou Morandini, qui ne sont pas des anges de scientificité…) ; et on va passer aussi sur les cinq petites pages emphatiques dont il justifie sa participation dans le style d’un plumitif de province, vantant un Berthier « archéologue de grand renom » (ce qu’il n’a jamais revendiqué), des sites « chargés de vestiges celtes et romains », « la valeur inouïe des vestiges », etc. Tout en se défendant de défendre la thèse de Berthier en particulier et de mettre en avant les communes jurassiennes…
Et de dénoncer un « primordial besoin d’affiliation » chez les partisans d’Alise, ce que je veux bien : après tout, les francs-maçons du Grand Orient de France ont longtemps pris pour dogme que les femmes n’avaient pas autant de cervelle que les hommes, et il a fallu quinze ans de combat pour qu’ils admissent le contraire… mais les francs-maçons ne sont ni aussi jésuitiques ni aussi dogmatiques que les Alisiens, et Loges et Chapitres mixtes sont maintenant admis. L’insistance dans le dogme remonte, chez les Alisiens, à bien plus de quinze ans, et il n’y a pas apparence qu’ils détellent après que le présent ouvrage a démontré à tout citoyen honnête qu’ils ont tout faux.
Pour un terminer avec les cinq pages de Ferrand, disons que réaffirmer que la Guerre des Gaules est « pourtant si précise en tout », c’est s’asseoir sur un contre-dogme et oublier que César n’était pas aussi imprécis que ne le disent les Alisiens quand cela les arrange, ni aussi précis que ne l’osent les adversaires quand cela les arrange aussi. Un gros morceau à digérer, c’est omnibus interclusis itineribus, qui permet aux dogmatiques de toutes obédiences d’affirmer que César n’aurait jamais pu marcher vers l’Isle Crémieu pour traverser le Rhône.
Pour résumer la partie historique qui suit, j’oserai une formule : Ianus Alisiiam solo adaequauit, Porte a démoli jusqu’au niveau du sol Alisiia.
Et comme vous me connaissez, je vais établir qu’une première composante de la démolition est non seulement fragile, mais inutile :
Les Alisiens se fondent depuis lurette sur une inscription bien tardive, en gaulois corrompu, qui comporte les mots IN ALISIIA. Donc ce bon vieil Héri d’Auxerre, ou ses manuscrits, éliminent d’office l’idée qu’Alise soit une Alesia, en fabriquant un pagus Alesiensis pour complaire au texte de César, alors que leur Alesia a toujours été une alisija : d’abord, les monnaies et les inscriptions sont légion à indiquer que le II et le H étaient des graphies courantes pour E (donc ALISIIA = ALISEA), et d’autre part il existe en grammaire indo-européenne une habitude qu’on appelle métathèse vocalique. L’incertitude reconnue par les grammairiens antiques entre le ε et le ι dans le grec hellénistique, l’alternance entre la graphie -is et -es pour l’accusatif pluriel des thèmes en -i-, tout cela concourt à reconnaître dans ALISIIA une forme d’ALIISIA avec métathèse. Ce n’est pas un argument dirimant, tout juste une commodité pour distinguer Alisiia = Alise d’Alesia = le site de César. Let, remise en jeu.
Deuxièmement, et là je vais me fâcher : les divers auteurs répètent comme une antienne qu’altero diene peut signifier que « le lendemain ». C’est faux, et je m’étonne qu’une collègue aussi experte que moi en grammaire latine ait souscrit à cet à-peu-près que ses complices dénoncent à loisir comme « une erreur que n’importe quel correcteur aurait notée d’un solécisme ». Et de reprendre comme une antienne que les auteurs Alisiens, y compris Reddé qui est aussi agrégé des lettres, commettent un contresens qui les arrange.
Or, je suis désolé, dans le calcul des étapes, le Romain compte à partir de l’aurore et par jours pleins de marche. Désolé d’ avoir lu et relu Tite-Live et Tacite, mais la grammaire est rigoureuse :l
L’expression livienne classique est primis (il n’y a pas de distributif pour unus), binis, trinis… castris, qui sont des ablatifs d’origine instrumentale : « ayant construit le premier, le deuxième, le troisième camp » donc cheminé un, deux, trois jours entiers.
Si l’on passe par dies, les numéraux sont impitoyables : déjà, soit l’épisode relaté dure plus de deux jours et autorise les adjectifs absolus : primo, secundo, tertio, quarto die… ; soit l’épisode couvre seulement deux journées pleines, et alors les comparatifs s’imposent : priore, altero. Dans le cas présent, si (comme un seul des sites étudiés par Chambon et Sébillotte pur la bataille de cavalerie l’autorise) il ne restait que quelques heures de marche entre la bataille et les abords de l’oppidum, César aurait écrit ipso die ; s’il y avait une seule journée pleine de marche, disons entre le café du matin et le pastis du soir, ce serait postero die ; et au cas d’une seconde et dernière journée, altero die. Quelle que soit l’heure d’arrivée. Pour le jour 0, il ne reste que peu de temps, « César fit massacrer les fuyards tant que le jour le permit ». Pour le jour +1, inutile de préciser qu’on a construit le camp comme tous les jours ; et le jour +2, il reste à César le temps de faire le tour de l’oppidum et de constater qu’on ne pourra pas le prendre d’assaut à partir du jour +3, donc qu’il faut assiéger.
Il est donc inutile de falsifier la grammaire pour passer de deux étapes avec du temps restant avant la nuit, à une étape avec du temps restant aussi : comme on démontre (à juste titre) qu’il n’était pas question de iusta itinera de 30 km et encore moins de marches allongées de 40 km, de toute façon, le site d’Alise est mort. Je m’interroge donc si cette obstination à dénoncer, cinq ou six fois au long des 400 pages et plus de l’ouvrage, le fait que Reddé, Bonaparte junior & C° tirent sur l’interprétation correcte d’altero die, n’a pas pour seule finalité de faire passer la distance entre Crotenay et Syam, 15 km environ, pour la seule normepossible selon César.
En ce cas, les tenants de Syam-Chaux des Crotenay sont tout aussi dogmatiques et tout aussi malhonnêtes que leurs adversaires d’Alise.
Et veulent masquer une donnée textuelle tout aussi indiscutable, veuille m’excuser de parler encore de latin ::
Cum per extremos Lingonum fines, bon, on peut discuter, et le bouquin de Danielle et de ses complices démontre absolument que les Alisiens ne pourront jamais se dépatouiller de ces quatre mots, après avoir tripatouillé tant qu’il était possible les frontières (jusqu’à l’absurde : Barral ; jusqu’au summum de la falsification : Carcopino <qui d’ailleurs n’y croyait pas, mais étant normalien, le canular faisait partie de sa culture>). Mais il y a deux autres mots, iter faceret, et en bon latin il n’y a pas d’hésitation : « il était en train de marcher » ; où ? à l’intérieur du territoire séquane. Mais il n’y était pas : sinon on aurait iter fecisset, ou alors praeteritis Lingonum finibus.
Ma bonne collègue insiste à m’opposer que si l’attaque de cavalerie avait eu lieu pendant que César franchissait la Saône, ce qui me semble le plus vraisemblable (et correspond d’ailleurs aux normes tactiques fixées, et excellement, par François Chambon en fin de volume), César aurait employé dum + l’indicatif présent. Mais l’emploi de dum, qui n’indique qu’un synchronisme, affaiblirait considérablement l’expression : avec cum historicum, César indique que c’est à la fois au moment où il franchissait la Saône, et parce que ce franchissement le rendait particulièrement vulnérable, que V. a déclenché son attaque à ce moment précis. Bien sûr, cela ne peut lui convenir, à supposer que sa démolition efficace et honnête d’Alise ne débouche sur l’hypothétique probation de Chaux-des-Crotenay, auquel cas, vu les distances, il faudrait étendre indéfiniment le temporel altero die…
Mais… autant je peux vérifier ce que j’ai dit de mémoire sur Tite-Live et Tacite, surtout sur le premier, parce que j’ai la concordance de Packard ; autant je ne peux pas affirmer qu’en sept livres César n’emploie nulle part dum temporel. C’est ce dont je crois me souvenir, pour l’avoir lu et relu, mais je peux me tromper ; vérifier, cela signifie relire les 200 pages de l’édition Oxford une fois de plus…
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J’aurais préféré une hedera distinguens à cette espèce de caducée, mais après tout je viens en paix… et l’ordinateur a choisi de ne plus me laisser accéder à ce Dingbat manucien que j’aime bien.
La démolition d’Alise avait déjà commencé voici quelques années, et Danielle Porte parlait déjà d’imposture ; j’en sais un qui parlerait de forfaiture, et qui le prouverait puisqu’il est avocat. Ce qui était étonnement, que des contemporains plus ou moins qualifiés pussent publier dans des éditions commerciales (donc avec un à-valoir pour pallier l’absence de ventes) des vérités définitives, à grand renfort de pub (« la fin des débats », « l’énigme définitivement résolue », pourquoi pas « la solution finale », sinon que ces « historiens » se souviennent peut-être que l’expression est malvenue… ?), ce qui était étonnement, donc, se réduit à peu de choses : quand la fin de carrière approche, et qu’il y a une piste publicitaire à exploiter, et qu’on a le grade de Professeur d’Université (grade, rappelons-le, qui n’est qu’un certificat de conformisme et nullement de talent… la preuve étant que ni Danielle ni moi n’avons atteint cet optimum), on peut toujours écrire n’importe quoi en compilant d’anciens cours et des écrits allogènes qu’on ne citera que par raccroc.
Ce derniers feux d’un combat définitivement perdu, l’acharnement des vaincus à défendre les dernières redoutes à coups de mensonges et d’approximations, je les sentais venir, pour dire la vérité, depuis 1994. Parole de quelqu’un que je ne dévoilerai pas, puisque c’est un ami et qu’il est toujours de ce monde, qui m’avait dénoncé confidentiellement l’imposture bien avant que Janus ne le fît publiquement.
Il y avait déjà onze ans que j’avais publié ce lamentable article de la RAE que quelqu’un m’avait autorisé, sous condition que je joignisse à ma propre démolition de Chaux-des-Crotenay (que je maintiens jusqu’à plus ample examen) un éloge d’Alise… alors que je n’y croyais déjà plus, bien que veau élevé sous la mère côte-d’orienne, mais chez qui le taureau jurassien veillait dans les hormones…
Le premier bouquin de Danielle était, comme à son habitude, outrageusement satirique et fort agréable, mais celui-ci signe la fin. Tabula rasa. Non, je n’ai rien vu à Alésia-du-Disneyland.
Pendant quelques années, je n’ai pas eu l’occasion de repasser dans ces coins, puis… pour diverses raisons, je vais plus souvent à Dijon : soit par TER, rarement par avion, le plus souvent en roulant tout doucement à l’écart de l’A6. Et plus j’y passe et plus je constate que je ne « sens » pas le site : trop petit, incompatible avec le texte de César bien sûr, et même si l’on fait abstraction du passage obligatoire de la Saône (dans cet ouvrage, on démontre bien inutilement que les innombrables sites proposés pour la bataille de cavalerie sont improbables, et de toute façon les plus éloignés, en tirant le sens d’altero die vers un impossible tertio die, n’atteignent pas la Saône), c’est trop petit, c’est trop bas, les rivières sont trop loin, et surtout en faisant le tour le soir du deuxième jour, César aurait normalement tout disposé pour déclencher un assaut par le sud-est au plus vite).
Ici, on démontre l’impossibilité définitive du site non seulement à partir du texte de César qui l’exclut d’office, sauf accumulation de contresens, mais avec des arguments irréfutables qu’il vaut juste la peine de résumer : pas assez de surface, d’accord, même Bonaparte junior l’avouait ; pas assez d’eau, même si les lignes romaines invraisemblablement éloignées laissaient un accès aux rivières ; pas assez de pâturages…
On ajoute ici : il ne suffisait pas de manger et de boire, hommes et bœufs, mais gérer les résultats ; on n’en parle pas à la Sorbonne, mais Bernard Gay a pensé à « la cabane au fond du jardin » : typhus assuré pour les assiégés, et au moins tétanos pour les assiégeants, parce que la plaine est fangeuse et que les légionnaires n’avaient ni bottes ni vaccins. Des alisiens officiels ont tenté de montrer que les ressources en eau sont suffisantes, avec de beaux tableaux : ils sont faux. Déjà, en tenant compte des chiffres de César et même en les torturant suffisamment pour les diviser par deux ou trois, le Mont Auxois ne tient pas trois jours, à plus forte raison deux mois. Site impossible.
Découvertes magnifiques, mais pas si magnifiques que ça : les découvertes de Bonaparte junior sont falsifiées, on le savait depuis longtemps, mais ici l’on démontre bien plus : le peu qu’on en puisse retenir comme peut-être authentique, c’est-à-dire pas grand-chose, n’a rien à voir avec l’année 52 ; la typologie des amphores, des fibules, des monnaies, tend à démontrer qu’un « événement » de bien moindre amplitude peut avoir lieu à cet endroit vingt bonnes années plus tard.
Qui plus est, et c’est cela qui me fait le plus rigoler, la plupart des preuves du canular centenaire sont extirpées des propres déclarations des tenants du dogme ! Y compris des plus récents, l’Illustre Reddé et ses commensaux, dont certains (admirable Brigitte Fischer qui ne s’est pas auto-censurée) disent exactement le contraire du dogme ! Et l’Illustre, qui devrait bien connaître son latin puisqu’il est agrégé des lettres comme nous, s’enferre sur des lectures fausses, se défausse à grands coups de non liquet et de non pertinet, donc se démolit tout seul. Magna moles super uacuum haesitans et fallens…
On continue : les monnaies, on a vu, Arnaud Lerossignol les démolit avec les armes et les amphores, tout en laissant une échappatoire (un « événement » local postérieur d’un peu plus de vingt ans, que je n’ai pas assez d’éléments pour critiquer). Les fossés, les camps ? Tous les plans sont bourrés de contradictions quant aux plans napoléoniens, d’incertitudes (à tout les moins) pour les fouilles modernes, qui auraient quand même dû produire des résultats.
Restaient, étant éliminées les fibules et les monnaies pour des raison méthodologiques, un élément qui me semblait dirimant : les balles de fronde au nom de Titus Labienus. Parce qu’il n’y a aucun Titus, ni Tiberius Labienus, qui ait eu un commandement après 51 (Labienus, rappelons-le, devint opposant républicain vers 49). « Des » balles de fronde : il n’y en a que deux, finalement. Et même si l’on peut soupçonner Yannick Jaouen d’être partisan, moi aussi je lis soit LAR, soit TAR… en aucun cas TLAB. De tous les cartouches de sigillée que j’ai lus, le R ne se confond jamais avec un B, si maladroite que soit l’impression.
Tout est chiffré, et pas au doigt mouillé. Franchement, je suis heureux que les doutes massifs qui me hantaient depuis trente ans se transforment en certitude absolue. Excellente raison d’essayer de rester vivant jusqu’au second volume qui prouvera qu’Alésia de César, c’est Chaux-des-Crotenay. Souhaitons aux auteurs de pouvoir apporter des preuves aussi irréfutables.