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8 mai 2013 3 08 /05 /mai /2013 17:23

Ces quelques mots simplement pour éclairer quelques points qui pourront servir lundi.

1. Il est absolument certain que le triomphe romain est d'origine étrusque, mais aussi que le terme dérive du grec θρίαμβος par l'intermédiaire de la langue étrusque, qui ne connaissait pas les voyelles sonores. On trouve dans la littérature (Catulle par exemple) des attestations de l'acclamation io triumpe, qui suffit à prouver cette évolution phonétique. L'aspiration aussi est assez commune en étrusque, mais il faut se rappeler que le φ grec ne se prononçait pas comme une <f>, mais comme un <p> soufflé, de même que l'initiale de la soupe thaï, phô, qu'il ne faut surtout pas prononcer à la française.

La tombe François de Vulci, qui date d'environ 330 avant J.-C., a été peinte selon un programme fixé par un noble qu'on voit figuré en toge pourpre brodée de motifs d'or : c'était aussi le vêtement du triomphateur romain. Le personnage de la tombe François, qui se nomme Vel Saties, regarde le ciel : il prend les auspices, manifestement ; les études récentes déduisent que ce magistrat avait commandé une armée étrusque et remporté quelques victoires sur Rome dans les années 340, comme l'indiquent de rares textes.

Or le terme grec désigne des processions dionysiaques. Quel est le rapport ? Dionysos, Bacchus en latin, est un fils de Zeus qui s'est développé dans la cuisse de son père (d'où l'expression : sortir de la cuisse de Jupiter, qui faisait tant rigoler Coluche). Bacchus est devenu un dieu très populaire en milieu étrusco-latin, d'où plusieurs miroirs gravés de Préneste où on le voit couronné par une petite Victoire ailée et monté sur un char tiré par des tigres. Ces éléments, la couronne portée par une divinité féminine, le char, les animaux, et surtout l'origine jupitérienne, se retrouvent dans la manifestation politico-militaire qu'est le triomphe romain.

En clair, le triomphateur est favorisé des dieux, comme l'indique la formule traditionnelle (ci-dessous). Quant à s'identifier à Jupiter, oui, mais pour une journée seulement : d'où l'esclave public qui tient la couronne au-dessus de sa tête et lui rappelle pendant toute la cérémonie qu'il n'est qu'un mortel, en ressassant la célèbre formule : memento mori.

D'ailleurs, selon la formule rituelle, l'honneur était rendu à Jupiter et à tous les dieux protecteurs de Rome, non au général : le sénat faisait voter les comices centuriates sur la question : "voulez-vous, ordonnez-vous, Quirites, qu'en raison de la vertu et de la fortune que vous lui avez conférées, le consul… porte à Jupiter Très-Bon Très-Grand la prière de conserver pour toujours la ville de Rome, etc.". Les comices centuriates réunissaient en forme civique les citoyens qu'on appelait aussi populus, terme qui désigne à l'origine les fantassins, et se déroulaient plus ou moins selon l'ordre militaire.

2. Bien sûr, c'était l'occasion d'exhiber le butin et de distribuer une partie des manubiae, la part de celui-ci que le général pouvait gérer. C'est à ce moment que les simples soldats touchaient une récompense de tant de sesterces, les cavaliers le double, les centurions le triple ou le quadruple, les chiffres varient.

La populace n'était pas oubliée dans ce spectacle et dans cette distribution, tout comme aux enterrements, dans les jeux du cirque (à l'origine funéraires) et lors des différents jeux (ludi) qui scandaient le calendrier romain : monnaie, vin miellé, gâteaux, dattes, œufs en diverses préparations, étaient distribués en plus ou moins grandes quantités suivant l'ambition du triomphateur.

3. Mais il reste que le triomphe est célébré pour la victoire sur un ou plusieurs ennemis, étrangers (c'est ainsi que César ne triomphe pas des citoyens romains qu'il a combattus en Afrique ou en Égypte, mais des Numides et de Cléopatre). Avec le butin, les tableaux peints qui figurent les villes conquises, les chefs ennemis sont soigneusement gardés en prison (la Mamertine, un cachot souterrain au pied du Capitole) et exhibés tout au long de la procession, avant d'être garrotés. Il est exclu de les gracier, malgré le strip d'Astérix que je n'ai pas réussi à retrouver ("Que fait César ? – Il affranchit le rubicond", parce qu'un vaincu teuton a crié "KOLOSSAL" pendant le triomphe. En revanche, plus les vaincus sont exotiques et plus la populace est contente. C'est ainsi que Pompée, puis César, font parader des éléphants porteurs de torches, de zèbres, des girafes, des ours… qu'on emploiera ensuite au cirque.

Ce qui signifie qu'il n'y a guère de distance entre le triomphe et les jeux, tous en principe dédiés aux dieux et tous dévoyés pour satisfaire la soif de sang du public. Quand il n'y aura plus beaucoup de conquêtes extérieures, à partir de Claude et de Néron, on sacrifiera des sujets exotiques prélevés au Trastevere, juifs et chrétiens, avec ce raffinement suprême, imaginé par Néron, de les attacher à des potences, de les arroser d'huile et de les faire brûler pour éclairer les fêtes nocturnes… encore Néron n'a-t-il pas imaginé tout seul cette barbarie : déjà en 79, après avoir vaincu les derniers esclaves révoltés de Spartacus, Crassus les avait suspendus aux fourches tout le long de la via Appia… par laquelle, d'ailleurs, la foule venait souvent accompagner les magistrats revenant de leurs provinces orientales ou grecques à cet endroit.

4. Traitement iconographique du triomphe : les images de défilés sont innombrables, les plus célèbres se trouvant sur la colonne de Trajan au forum, une véritable BD de l'époque qui raconte tous les épisodes de la guerre de Jérusalem en 79. L'art italien du XVIIe siècle a exploité le filon (souvent, d'ailleurs, par opposition aux pompes papales). Avec la BD du XXe, certaines séries totalement dépourvues d'humour reprennent à la lettre les défilés décrits par les textes antiques, non sans d'innombrables approximations. D'autres, qui veulent être lues au second degré, caricaturent la chose, éventuellement dans le sens d'un patriotisme gaulois hérité de Napoléon III. Bien sûr, je vais m'arrêter là, il faut quand même que vous traitiez un peu le sujet de partiel par vous-mêmes.

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