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29 octobre 2009 4 29 /10 /octobre /2009 19:07
Jean d'Aillon, qui a enseigné l'économie et travaille dans l'administration des Finances, écrit à ses moments perdus des romans historiques. Celui-ci est le seul qui se situe à l'époque romaine, à la fin du règne d'Auguste en l'occurrence. Il est publié par Labyrinthe, qui dépend du Masque, lequel dépend de Lattès… de si prestigieux éditeurs commerciaux, on attendrait qu'ils paient un correcteur instruit de quelques rudiments de langue latine.
On ne niera pas que le roman soit agréable à lire, et malgré ses 325 pages, on en vient à bout rapidement. C'est un western : il y a des bons, des brutes et des truands. Les bons sont Lucius Gallus, fils de sénateur, ancien légat, qui entretient une ferme près d'Aix-en-Provence ; la belle et jeune veuve salyenne Ambria, dont le fils est citoyen romain, son frère Cimbrius le gladiateur, et même le laniste (éleveur et loueur de gladiateurs, un personnage universellement décrié par les écrivains romains, au même titre que les maquereaux et maquerelles) est désintéressé et sympathise avec les héros dans leurs multiples mésaventures. Les brutes sont les hommes de main des gouverneurs de la ville, dont un anthropophage, et les truands, à plusieurs niveaux, l'un des deux édiles, fils de la main gauche de Cicéron, dit-on, le fameux Sextius qui cherche à étendre et romaniser sa ville à tout prix (et il y met le prix, surtout que ce sont les autres qui paient), le petit-neveu du fameux Crassus, dont la rumeur dit qu'il fait incendier les maisons des quartiers où s'élèveront les nouveux temples, selon la méthode du fameux Publius Licinius Crassus.
Les brutes détruisent le domaine de Gallus, enlèvent le fils d'Ambria, Gallus et ses compagnons passent par un souterrain inconnu pour la rejoindre à Entremont (l'oppidum gaulois au nord d'Aix), des hommes de main supérieurs en nombre leur tombent dessus, ils les laissent sur le terrain diversement égorgetés, quelques personnages sont assassinés, Gallus est poursuivi par le shérif et se retrouve en prison, s'évade bien sûr, enlève la belle et son fils retrouvé, tout en menant l'enquête sur les méchants. Qui seront soit condamnés, soit transformés par l'imagination du narrateur : Crassus en particulier n'est pas l'affreux qu'on croyait, mais un fidèle agent secret d'Auguste, membre d'une cinquième colonne que nul ne connaissait. Une cinquantaine de cadavres plus loin, tout est bien qui finit bien.
Mais le complot était téléguidé depuis Rome par de très hauts personnages, dont Livie, l'épouse d'Auguste, qui voulait éliminer les descendants de son pieux époux. C'est elle, avec son âme damnée Seianus (qui sera le préfet du prétoire de Tibère, et le souverain de fait de l'empire romain quand celui-ci se retirera à Capri), qui organise de loin l'assassinat de Lucius César, l'héritier de principe du pouvoir suprême.
Littérairement, donc, c'est excellemment fait. Historiquement, c'est une autre histoire, si l'on peut dire.
Autant qu'il me souvienne, la fondation de Rome date officiellement de –753, et les deux fils d'Agrippa, Lucius et Caius Iulii Caesares, sont morts en –2 et +4. L'action devrait se passer en –2 (soit l'an 751 de Rome), l'auteur la colle en + 2, mais + 2 = 772, Rome ayant été fondée en 770. Grosse et nuisible invraisemblance.
L'auteur ne connaît rien au patriciat ni à la carrière sénatoriale, et il imagine que les calcei aurati désignent les patriciens, alors qu'ils sont le privilège des sénateurs. De même, il répète une toge augusticlave, alors qu'il s'agit de l'angusticlave, mais qui désignait les chevaliers et non les sénateurs. Quant aux tribuns militaires, aux légats (commandants d'une légion, rarement issus du rang), il confond tout. Les centurions, les décurions, les édiles, même mélange. Lors des banquets, le maître de maison se place sur le lit du dessous : c'est le contraire. Les soldats déserteurs sont, p. 340, battus au cep de vigne parfois jusqu'à la mort avant d'être crucifiés ; mais p. 342 ils sont crucifiés vivants. Cela manque de sérieux. Pour mémoire, seuls les esclaves étaient crucifiés, et toujours vivants (ils devaient agoniser longuement et périr étouffés sous leur propre poids), les soldats étaient battus à mort et ensuite décapités à la hache.
Autre perle au hasard : "Lucius songea un instant à ces tombes étrusques de son pays où les époux semblent si proches l'un de l'autre." Si l'auteur pense au sarcophage des époux de Cerveteri (au Louvre) ou à celui d'Orvieto, ils étaient l'un comme l'autre dans des hypogées qui n'ont été ouverts qu'au XIXe siècle ! On a aussi une femme autorisée à siéger au premier rang d'un tribunal, ou un convoi de céramiques précieuses (de la Graufesenque) qui voyage sans escorte…
Mais ce qui agace le plus, c'est de voir le latin constamment massacré. Les gentilices servent de prénom (Marcellus Calvinus, Fulsinius Gallus, Flavius Maximus), un esclave porte un nom d'homme libre (Publius), et l'épouse de Julius Lepidus s'appelle Antonia Lepidus, sans souci de l'accord des genres (le nom correct serait Antonia Aemilia Lepidi). Dans la même confusion des genres (grammaticaux), voici un decumanus maxima au lieu de maximus, et un messager venu d'Apt s'appelle Victrix Arintius, au lieu de Victor ; pour ajouter la confusion des cas, on répète Iouis Maximo (au lieu de Maximi). Et ce pauvre Tibère est appelé constamment, jusqu'à la p. 366, Tiberio Nero au lieu de Tiberius.
Je termine sur une perle de luxe, qui cumule l'ignorance de l'auteur et la négligence du typographe : des candelabruni à trois pieds (p. 156) ; manifestement, l'auteur ignore que le pluriel est candelabra, ert en plus le singulier candelabrum a été mal recopié. Le © étant de 2000, je ne pense pas que l'auteur et ses relecteurs (quatre sont cités nommément) aient voulu rendre cet hommage iucongru à la future "première Dame de France".


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